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Casamance: René Capain Bassène s’oppose à toute intervention militaire en Gambie (2ème et dernière partie de l’interview)

Casamance: René Capain Bassène s’oppose à toute intervention militaire en Gambie (2ème et dernière partie de l’interview)

– Je suis farouchement opposé à une intervention militaire en Gambie.

Déclencher une guerre est trop facile, mais on n’a aucune idée de quand elle finira, ni l’ampleur de ses conséquences à tous les niveaux.

-Le Sénégal sera le plus grand perdant en cas de conflit armé

– Je suis étonné que les sénégalais s’intéressent à la crise gambienne et pas du tout au conflit en Casamance.

Les pays de la CEDEAO ne sont pas unanimes pour une intervention militaire : quels pays interviendront en Gambie ?

2e partie et fin de l’interview de René Capain Bassène par Le Journal du Pays.

Concernant la crise poste électorale gambienne, pouvez-vous nous dire laquelle des approches préconisez- vous entre la diplomatie et l’intervention militaire ?

Je tiens très clairement à préciser que je ne suis pas du camp des « va en guerre ». Je suis farouchement opposé à toute intervention militaire sous quelque forme en Gambie.

Vous soutenez alors la position du Président Yahya Jammeh ?

Je ne l’ai pas dit. D’ailleurs à propos de Yahya Jammeh, je trouve qu’il est encore et toujours en train de réagir en conformité avec la constitution de son pays. Il avait dans un premier temps reconnu sa défaite. Par la suite quand la commission électorale a déclaré avoir commis une erreur de décompte en faisant passer l’écart des suffrages de 60 000 précédemment annoncé à 20 000 soit une réduction de 40 000 voix, il s’est rétracté et a décidé d’émettre un recours pour invalider les élections.  Je crois qu’il faut laisser la procédure suivre son cours. Attendons de connaître le verdict de cette Cour suprême.

Selon moi, le comportement de la commission électorale est un parmi les facteurs déclencheurs de la crise en Gambie.

Beaucoup d’acteurs soutiennent que cette Cours suprême lui est favorable et se rangera de son côté. Qu’en pensez-vous ?

N’oubliez pas que quelques mois avant les élections, certains acteurs s’étaient élevés pour dire que les membres de la commission électorale ne sont pas fiables car favorables à ce même Yahya Jammeh, parce que c’est ce dernier qui les a nommé. Et pourtant c’est cette commission qui a désigné l’opposant Adama Barrow comme étant vainqueur des élections.

Par ailleurs, je ne connais aucun pays africain où on procède à des élections pour l’occupation du poste de président de la Cour suprême. A ce que je sache, tous les présidents de cours suprêmes sont nommés par le président de la République comme c’est le cas en Gambie. Ceci dit, je refuse de me verser dans l’imagination. Il faut être un devin ou dans le secret des dieux pour dire avec certitude que les membres de la cour suprême gambienne prendront la décision historique de se ranger aveuglement du côté de Jammeh pour la simple et bonne raison que c’est lui qui les a nommés.

Si on raisonne ainsi, aucun président ne perdra des élections en Afrique noire. Je condamne cette manière de mettre la pression sur les membres de la Cour suprême gambienne et je garde espoir qu’ils sauront dire le droit dans la vérité. C’est à dire en donnant des explications et des preuves tangibles et convaincantes qui justifieront le verdict qu’ils auront à prononcer.

Contrairement à vous, beaucoup de voix s’élèvent pour réclamer le recours à une intervention militaire en Gambie pour faire partir par la force le président Yahya Jammeh en cas de refus de transmission du pouvoir à Barrow. Comment vivez-vous cela ?

Je suis étonné que l’opinion sénégalaise en particulier ait accordé autant d’intérêt à la crise poste électorale en Gambie. Au marché, dans les places publiques et même dans les bureaux chacun y va de son ou de ses commentaire (s). Chacun essaye de dégager ce qu’il aurait préconisé comme solution pour la fin de cette crise gambienne.

Paradoxalement, ces mêmes sénégalais, n’accordent à la limite aucune attention à la problématique de la crise en Casamance.

En effet, contrairement à la crise gambienne dont certains médias sénégalais en ont fait leurs choux gras, la guerre en Casamance n’est pas un conflit médiatisé et dont les conséquences (lot de réfugiés, de tués, de torturés, de blessés et de mutilés) sont montrées dans les grandes chaînes de télévisions internationales.

Ils sont très nombreux les sénégalais qui ne se sentent pas concernés par  le conflit en Casamance. De manière plus explicite, je dirai que : l’opinion sénégalaise dans sa majorité semble ne pas être concernée par la guerre qui sévit depuis trente-quatre (34) ans en Casamance. Pour le sénégalais vivant au nord du pays, il ne se rappelle de la crise en Casamance que lorsque les médias évoquent un affrontement entre belligérants, un braquage ou autre douloureux événements perpétrés à l’encontre des pauvres populations civiles.

Les populations des autres régions ne s’y intéressent réellement et momentanément que quand elles ont commencé à compter des victimes civiles ou militaires issues de leurs contrés.

Aussi, on retrouve ce même état d’esprit au niveau des intellectuels qui rayonnent autour de Dakar. Ils sont prêts à discuter de sujets très complexes sur par exemple la crise ivoirienne, burkinabé, congolaise, bissau guinéenne, malienne, débattre sur Boko Haram ou sur la crise  que traverse de nos jours la Gambie. Mais jamais ils n’ont eu à engager un débat sérieux et sincères sur le conflit en Casamance et sur comment finir cette guerre.

En clair, le conflit ne retient presque l’attention de personne au haut niveau intellectuel (dans les universités) et au niveau des hautes instances de décisions politiques (le gouvernement et l’assemblée nationale). Les quelques rares interventions enregistrées sont le plus souvent des déclarations pour condamner ou fustiger certains comportements des belligérants sur le terrain.

C’est également un conflit qui n’intéresse pas les grandes ONG qui luttent pour le respect des droits de l’homme. Il n’y a en réalité de nos jours aucune ONG de renommée mondiale qui est en train de travailler sur la problématique de la crise en Casamance. Aucune grande ONG même celles implantées au Sénégal ne s’y intéressent presque pas. Seules quelques petites ONG basées en Casamance et peu crédibles aux yeux du MFDC et des politiques tentent avec difficultés de se positionner sur ce dossier.

Pourquoi s’intéresse-t-on à remédier l’ « égratignure gambienne » au même moment où on cherche à faire fi du « gros et purulent abcès » que constitue la crise casamançaise qui sévit dans notre pays depuis plus de trois décennie ? Pourquoi cette absence d’engouement et d’engagement ferme de la part des hommes politiques et de la société sénégalaise dans le cadre de la résolution du conflit casamançais ?

Pourquoi la CEDEAO ne s’intéresse-t-elle pas à ce conflit armé ? Quelle est donc par ailleurs la position de l’Union africaine voire de celle européenne vis-à-vis du conflit en Casamance ?

Je crois qu’il faudrait penser à d’abord éteindre le feu qui est en train de brûler chez nous en Casamance, que de songer à provoquer un autre incendie en Gambie voisine. Déclencher un conflit armé est très facile. Mais on ne saura jamais dire de manière exacte quand est ce qu’il va finir ni quelles seront les conséquences. Il ne faut pas s’engager dans la dynamique qu’a connu la Côte d’ivoire à savoir, tuer ou faire tuer des milliers d’innocents pour juste rétablir une question de soit dite démocratie dans un pays africain comme la Gambie.

Pour contraindre Yahya Jammeh à quitter le pouvoir, je pense qu’il peut exister et il existe des procédés plus efficaces qu’une intervention militaire. Il faut les adopter au grand bénéfice des populations de la Gambie et du Sénégal mais également de la sous-région. Une guerre en Gambie, reviendrait à mettre la quasi-totalité des pays de la CEDEAO dans une instabilité générale alors que le moment n’est pas favorable à une telle situation au vu de la montée du terrorisme en Afrique de l’Ouest.

Vous voulez dire que les pays de la CEDEAO connaissent tous des crises politiques en leur sein ?

Ce n’est pas exactement ce que j’ai dit, mais tenez-vous bien :

  1. Le Sénégal « au sein » duquel se trouve la Gambie traverse depuis 1982 un conflit armé. Près de la moitié de l’effectif de son armée est engagée en Casamance où l’Etat lutte depuis trente-quatre ans contre les combattants du Mouvement des Forces démocratiques de la Casamance.
  2. La Guinée Bissau semble être maudite car depuis son indépendance jusqu’à nos jour, ce pays peine à obtenir une certaine stabilité politique. Depuis bientôt deux ans il y règne une crise entre le président et son premier ministre qui a plongé le pas dans une certaine instabilité qui a tout moment peut dégénérer en coup d’Etat ou en conflit armé.
  3. La Côte d’Ivoire n’a pas encore fini de penser entièrement ses plaies provoquées par la crise politique entre Gbagbo et Ouatarra. Les autorités de ce pays sont en train de s’évertuer à bâtir un « nouveau pays » pendant que les forces onusiennes y sont toujours présentent pour les aider à faire face aux djihadistes qui ont eu à y perpétrer des attentats. La mutinerie de la semaine passée explique la fragilité de ce pays.
  4. La Mauritanie, le Mali et le Burkina Faso sont menacés par l’avancée des djihadistes. Ils sont chacun de son côté tantôt avec l’aide de la communauté internationale comme au Mali entrain ou de se battre ou de chercher comment endiguer la menace djihadistes au niveau de leurs pays.
  5. Le Benin, le Niger et le Nigeria quant à eux sont en train de mener un combat sans merci contre Boko Haram. Une opération militairement, financièrement et humainement très douloureuse.
  6. Les trois pays dont on pouvait dire qu’ils étaient politiquement assez stables étaient le Cap-Vert, la Gambie et le Ghana. Dommage voici que la Gambie est en train de traverser une crise politique que la CEDEAO veut envenimer en y « inséminant » un conflit armée. un conflit de plus en Afrique de l’Ouest.

Si on vous comprend bien, vous semblez dire que les pays de la CEDEAO ne sont pas dans les dispositions idoines pour une intervention militaire en Gambie.

Pour ma part, j’ai plutôt envie de vous poser la question de savoir quel pays va intervenir contre Yahya Jammeh en Gambie ?

Le Sénégal sera celui qui aura le plus à perdre dans une telle aventure. Comment pourra –t-on s’attaquer à la Gambie sans que le conflit n’ « infecte » l’une ou l’autre des régions qui bordent ce pays ? Au Nord nous avons les régions de Fatick, Kaolack et Kaffrine ; alors qu’au Sud il y a les régions de Ziguinchor, Sédhiou et de Kolda à savoir toute la Casamance. A l’Est nous avons la région de Tambacounda. A l’Ouest c’est l’océan Atlantique.  Il est bon de préciser que tous les bateaux qui font la navette Ziguinchor-Dakar naviguent obligatoirement sur les eaux territoriales gambiennes. Donc parmi les dégâts collatéraux figure un enclavement plus accentué de la Casamance.  Du point de vue militaire, les tirs d’obus de part et d’autre ne feront pas la distinction entre la forêt casamançaise et celle gambienne, entre régions sénégalaises et gambiennes. Et si par mégarde un tir atteigne ou tombe près d’un cantonnement militaire du MFDC, est ce qu’Atika restera les bras croisés ? Si la rébellion s’engage dans la guerre, le Sénégal fera face à deux fronts. Un contre la Gambie qui le considère comme envahisseur et un autre face aux combattants du MFDC qui depuis plusieurs décennies luttent pour se séparer de lui.

Si on analyse les propos de Yahya Jammeh, on se rend compte que les autres pays de la CEDEAO l’intéressent trop peu, il est convaincu qu’au vu de la situation que traversent ces différentes nations, aucune d’entre elle ne pourra envoyer plusieurs milliers d’hommes en Gambie. Par conséquent, son seul « ennemi » demeure son voisin Sénégalais qui du reste est désigné pour diriger les troupes chargées de le destituer au cas où l’option militaire serait retenue. Il est fin prêt pour la guerre contre l’ « envahisseur » comme il a eu à le déclarer.

Le Cap-Vert est trop lointain et demeure encore une petite puissance militaire pour s’aventurer à envoyer des troupes en terre étrangère. D’ailleurs ce pays est toujours resté impuissant face toutes les crises qu’a eu à traverser la Guinée Bissau « sa sœur jumelle ».

La Mauritanie et la Guinée Conakry ne semblent pas partager cette option d’intervention militaire de la CEDEAO.il ne faut donc pas compter sur eux.

Le Togo au vu de la transmission du pouvoir que l’on peut qualifier de monarchique est trop mal placé pour intervenir dans une opération militaire de restauration de la démocratie en Gambie.

Le Mali, le Niger et le Nigeria, sont en guerre contre un puissant ennemi. Ils ne pourront pas s’aventurer dans une guerre trop longue.

Au finish, il n’y a que le Ghana, seul pays démocratique et politiquement stable qui aurait pu venir en appui au Sénégal. Seulement ce pays vient juste d’avoir un nouveau président. Il ne va sans doute pas entamer son mandat par l’envoie de milliers de soldats en Gambie.

Pour finir, je réitère mon opposition à toute intervention militaire en Gambie. Si on y prend garde, une telle initiative pourrait contribuer à déstabiliser non seulement la Gambie, mais aussi le Sénégal dans sa partie sud et la Guinée Bissau. Les terroristes ne sont pas loin et n’hésiteront pas à saisir cette opportunité pour s’infiltrer.

Si réellement ce n’est pas la personne de Yahya Jammeh qui gêne, j’aurais suggéré à la CEDEAO d’être patiente, de ne pas se faire de la fixation sur la date du 19 janvier 2017 et d’entamer un véritable processus de dialogue pour amener Jammeh à accepter de quitter et par la même occasion épargner des centaines de vie, tout en consolidant la stabilité assez solide qui prévaut dans cette partie de l’Afrique. La guerre n’est pas la bonne solution. On peut par embargo ou autres méthodes économiques étouffer Jammeh et le contraindre à quitter le pouvoir. Si jamais l’option militaire est retenue, est ce que la CEDEAO sera –telle en mesure d’intervenir par la force partout où des élections seront contestées dans son espace ?

Interview réalisé par Abdou Rahmane Diallo

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Commentaires (2)

  • Balla Moussa

    Oui, les faits sont têtus et Dieu est le seul ETERNEL. Celui qui dirige par force périra par la force. C’est valable pour Jammeh et pour Barrow. En fin de compte c’est la Gambie qui perd.

  • Zeus

    Si l’analyse de RCB est détaillée, les faits ou le Real Politic va à contre courant. La guerre en Gambie est décidée par le Sénégal et le Nigéria. Alors chaque Casaçais doit se préparer pour le pire, parce que une guerre en Gambie est catastrophique pour la Casamance

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