Casamance : Comment Léopold Sédar Senghor a divisé le MFDC et trahi la Casamance

En plongeant dans le livre de Séverine Awenengo Dalberto, « L’idée de la Casamance autonome », on découvre des pans inédits de l’histoire politique de la Casamance, cette province autonome dont les aspirations indépendantistes continuent de flamber aujourd’hui.
De la page 172 à 174 on peut lire :
Léopold Sédar Senghor fait le choix de placer aux postes en vue ses plus anciens ou utiles collaborateurs, et il ne peut pas récompenser tout le monde, notamment ceux qui l’ont soutenu dans les régions en 1951.
Senghor menace l’équilibre des forces sur lequel a été échafaudée toute sa stratégie politique de captation d’électeurs par le biais de ces intermédiaires. Lors des élections à l’assemblée de l’union française, il a pu mesurer les rivalités existantes au sein du BDS.
La liste des candidats ayant réclamé l’investiture du parti est longue et si Senghor a finalement réussi à imposer ses candidats en évitant la présentation de listes dissidentes8, il a suscité de nombreuses déceptions. En Casamance, c’est la déception de trop, comme l’explique Sancoung Sané : « C’était surtout avec le Conseil de l’union. »
C’est Ibrahima Sarr qui a eu le poste alors qu’en vérité, ce poste nous revenait de droit. C’est pour cela qu’il y a rupture et le congrès de Marsassoum9. » Le congrès annuel du MFDC s’étant déjà tenu à Kolda en avril 195310, le MFDC décide de convoquer un congrès extraordinaire à Marsassoum les 14 et 15 novembre 1953, où le bilan, les explications, les règlements de compte et la réévaluation de la relation nouée avec le BDS se confrontent au sein de l’ordre du jour.
Selon les renseignements coloniaux, entre deux et trois mille congressistes, venus de toutes les subdivisions du cercle de Ziguinchor, y assistent, ce qui témoigne de la très large audience du MFDC sur l’ensemble de la circonscription et de l’importance de la rencontre. Dans l’assemblée, on compte quelques représentants locaux du BDS, de l’UDICA (Union pour la défense des intérêts de la Casamance, un mouvement naissant en 1954), du RDA (Rassemblement démocratique africain) et de la SFIO, mais seuls les membres du MFDC ont le droit de prendre part aux travaux du congrès, réalisés en commissions.
Le procès- verbal rédigé et conservé par Paul Ignace Coly constitue une source rare pour accéder aux débats qui s’engagent à l’occasion de ce moment charnière de la vie du mouvement.
Tous les conseillers territoriaux MFDC sont là, à l’exception, semble- t-il, de Guibril Sarr. Ibou Diallo pose l’enjeu du congrès extraordinaire en rappelant les promesses de Senghor, preuves à l’appui : il y donne ainsi lecture de deux lettres envoyées par le député. Le procès- verbal en rapporte le passage suivant : « En 1951, Senghor écrivait : Je prévois un siège pour la Casamance au Conseil de l’union. Un Casamançais sera également sur la liste BDS pour le grand Conseil. »
Les militants manifestent âprement leur insatisfaction, exigeant que les élus leur rendent des comptes sur le vote et leur rôle dans le comité exécutif du BDS. En fait, les élus MFDC n’occupent aucun poste important au sein du comité exécutif du BDS, là où tout se joue pour les investitures et les nominations dans les autres instances. Ils n’y sont que « tacitement » acceptés, afin de « main tenir le principe de l’équilibre régional », rapporte le compte- rendu. Badiane explique ainsi qu’ils n’ont pas pu participer au vote de la liste des candidats. Or, ils ont été doublés par Étienne Carvalho qui n’a pas soutenu leur investiture alors même qu’ils l’avaient mandaté.
Badiane et Ibou Diallo se défendent devant les militants en expliquant qu’ils ont manifesté leur désapprobation. Ils ont démissionné du comité exécutif, ce qui a fait l’effet d’un « coup de poing sur la table du BDS », arguent-ils.
Au moment du vote final, Ibou Diallo informe qu’il s’est même abstenu. Les militants soutiennent que la mésentente entre cadres casamançais (conseillers territoriaux et/ou cadres du BDS, comme Étienne Carvalho) est la cause de la perte du siège. Il fallait qu’ils puissent être toujours solidaires afin de réussir « l’union pour la plus grande Casamance ».
Moustapha Diallo, le petit frère d’Ibou, les rend « responsables de (leurs) déboires » et Mamadou Diaïté leur reproche d’avoir « mis les intérêts du BDS au- dessus de ceux supérieurs du Mouvement ». Les critiques contre Senghor fusent. Dépassant la question de la perte des sièges aux différentes assemblées, un militant revient même sur l’investiture, en 1952, de Robert Delmas comme conseiller territorial du cercle de Ziguinchor : « Pourquoi Senghor a- t-il mis un Européen à la place réservée à un Africain ? Casamançais, j’entends ? Senghor a failli. » on entend encore : « Je demande si la Casamance a été négligée ou trahie ? »
Kondiarama
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