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Casamance : Les dessous opaques du voyage d’Ousmane Sonko à Bignona

Casamance : Les dessous opaques du voyage d’Ousmane Sonko à Bignona

Le vendredi 9 mai 2025, le Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko s’est rendu à Bignona, officiellement pour participer au Gamou annuel organisé par le guide religieux El Hadji Ousmane Fansou Bodian, imam ratib de la grande mosquée et figure influente du soufisme en Casamance. Ce rassemblement, qui attire des milliers de fidèles de l’Afrique de l’Ouest, est une vitrine spirituelle majeure. Mais derrière les apparences d’une visite pieuse, des questions troublantes émergent : que cache ce déplacement précipité dans une région en proie à une recrudescence de violences ?

Une façade religieuse pour des tractations secrètes

Le contexte sécuritaire en Casamance est alarmant. En moins de trois mois, la province a été le théâtre d’attaques meurtrières attribuées aux combattants du Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance (MFDC). Le 12 février, six soldats sénégalais ont péri dans une embuscade dans le parc national de Basse Casamance. Le 16 avril, quatre autres ont été tués à Mongone, dans le département de Bignona, avec plusieurs disparus, certains vraisemblablement capturés. Plus récemment, le 22 avril, un véhicule militaire a sauté sur une mine artisanale près de Badême, au sud de Ziguinchor. Ces incidents révèlent l’incapacité persistante de l’État du Sénégal à sécuriser ce territoire en résistance depuis des siècles.

Selon une experte de la question casamançaise rencontrée à Bignona, la présence de Sonko ne se limiterait pas à une participation au Gamou ou une prière à la mosquée.

Des informations crédibles suggèrent qu’il aurait rencontré El Hadji Ousmane Fansou Bodian, connu pour son rôle intermittent dans les pourparlers de paix, afin de négocier la libération de militaires sénégalais capturés lors de l’embuscade de Mongone. Cette hypothèse, si elle se confirme, soulève des interrogations graves sur la stratégie du gouvernement et la transparence des négociations.

Une méthode de négociation déroutante

Qu’un Premier ministre, figure centrale de l’exécutif, se déplace en personne pour des tractations aussi sensibles est à la fois inédit et inquiétant. Pourquoi Sonko, plutôt qu’un émissaire discret ou une délégation spécialisée, s’implique-t-il directement ? Cette démarche suggère-t-elle une méfiance envers les canaux habituels de médiation, ou une volonté de court-circuiter les acteurs traditionnels du dialogue, comme les ONG ou les émissaires internationaux ? Plus troublant encore, le choix de Bignona, fief spirituel mais aussi zone stratégique proche des bastions rebelles du Nord de la Casamance, semble calculé pour envoyer un message. Mais à qui ? Aux indépendantistes du MFDC, à la population casamançaise, ou à l’opinion publique sénégalaise ?

El Hadji Ousmane Fansou Bodian, bien que respecté, n’est pas un médiateur institutionnel. Son engagement pour la paix, ponctuel, repose davantage sur son aura spirituelle que sur une expertise formelle en négociation. Confier une mission aussi délicate à une figure religieuse, fut-elle influente, interroge la rigueur du processus. Quels sont les termes de ces discussions ? Les concessions envisagées ? Et pourquoi le public, en particulier les Casamançais, est-il tenu dans l’ignorance ?

Une paix en trompe-l’œil ?

La Casamance mérite mieux que des négociations opaques menées sous le couvert d’événements religieux. Les récents revers militaires montrent que la stratégie sécuritaire de Dakar est à bout de souffle. Si Sonko cherche à incarner une nouvelle approche, il doit le faire avec transparence et en impliquant les acteurs locaux – associations, chefferies traditionnelles, diaspora et société civile – qui vivent les conséquences du conflit au quotidien. Négocier la libération de soldats capturés est une urgence humanitaire, mais cela ne saurait remplacer un dialogue inclusif pour une paix durable.

En se rendant à Bignona, Ousmane Sonko a peut-être marqué des points symboliques auprès des fidèles. Mais il a aussi ravivé le scepticisme de ceux qui, comme moi, doutent des intentions réelles du Sénégal sous Bassirou Diomaye Faye.

La paix en Casamance ne se construira pas dans l’ombre des mosquées ou des tractations secrètes. Elle exige un courage politique assumé, des engagements publics, et une volonté de rompre avec les vieilles recettes d’un conflit armé qui n’a que trop duré, 43 ans aujourd’hui.

Pierre Coly

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