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Opinion : Le véritable défi de l’indépendance du Sénégal : notre unité avec la Casamance (Malick Dieng)

Opinion : Le véritable défi de l’indépendance du Sénégal : notre unité avec la Casamance (Malick Dieng)

Depuis l’aube de son indépendance, le Sénégal s’est forgé une image de stabilité politique en Afrique de l’Ouest. Pourtant, derrière cette façade se cache une fracture persistante : celle qui oppose, ou du moins éloigne, le Sénégal de la Casamance.

Le conflit avec les indépendantistes du MFDC (Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance) s’est enraciné dans l’histoire contemporaine du pays. Et chaque tentative de solution militaire ou politique s’est heurtée à un échec, ou pire, à une escalade des tensions. L’enchaînement des plans inefficaces, des dialogues interrompus, des opérations militaires répétées n’a abouti qu’à prolonger la douleur. Ce cycle n’a jamais permis – et ne permettra jamais – d’éradiquer durablement les indépendantistes du MFDC. Tous les présidents sénégalais ont poursuivi cet objectif sans jamais réussir à briser le cœur du problème.

Peut-être parce que le véritable enjeu n’est pas la rébellion. C’est notre capacité à faire nation ensemble.

Le piège de la division

Dans nos débats publics, nous avons pris l’habitude de réagir par l’attaque : au lieu d’écouter, nous accusons ; au lieu d’accueillir l’autre, nous le percevons comme une menace ; au lieu de chercher à comprendre, nous rejetons, parfois même avec haine. Ainsi, le mot « unité » est devenu une incantation creuse, répétée dans les discours officiels, mais vidée de sa substance.

Nous oublions que l’unité ne se décrète pas. Elle ne naît ni de slogans ni de vœux pieux. Elle germe dans le respect, l’écoute, et surtout, dans la reconnaissance de l’autre – même lorsqu’il est en désaccord, même lorsqu’il vient « d’ailleurs », même lorsqu’il s’appelle Casamance.

La fracture entre le Sénégal et la Casamance n’est plus uniquement géographique ou politique. Elle est sociale, religieuse, générationnelle, culturelle : entre laïcs et religieux, entre progressistes et traditionalistes, entre centre et périphérie, entre ceux qui se sentent « sénégalais » et ceux qui sont fiers d’être« casamançais ».

Trop souvent, chaque camp voit en l’autre non pas un partenaire ou un frère, mais un adversaire. Et lorsqu’un peuple cesse de se regarder en face, l’unité devient un rêve lointain. La société commence alors à se désagréger, lentement, de l’intérieur.

Réapprendre à dialoguer

Si nous voulons sérieusement changer le cours des choses, il est temps de sortir de cette peur. Il est temps d’ouvrir les yeux et les cœurs. Comprendre l’autre n’est pas un acte de faiblesse. Ce n’est ni une trahison, ni une capitulation. C’est un acte de courage, personnel et collectif. C’est une responsabilité démocratique.

Le philosophe Martin Buber nous rappelait que l’autre doit être vu comme un « tu », pas comme un « ça ». Non pas comme un objet, un ennemi, ou une erreur à corriger, mais comme un sujet, un interlocuteur, une personne avec qui le dialogue est possible.

Nous l’avons vu lors des élections présidentielles de 2024. Des Sénégalais et Casamançais de tous horizons se sont unis. Non parce qu’ils étaient d’accord sur tout, mais parce qu’ils partageaient une douleur, une espérance. Parce qu’en Ousmane Sonko, beaucoup ont vu non un homme providentiel, mais un être humain qui reconnaissait leur souffrance. Et cette reconnaissance mutuelle a brièvement permis un élan d’unité rare dans notre histoire récente.

Une dernière chance ?

Aujourd’hui, alors que les tensions reprennent entre l’État central sénégalais et la Casamance, une question fondamentale demeure : saurons-nous encore nous voir, nous entendre, lorsque la guerre ne nous y obligera plus ? Saurons-nous reconnaître la personne, et pas seulement sa position ?

L’unité sans compréhension n’est qu’un bel emballage vide. Si nous voulons construire un avenir commun – un avenir africain, digne de nos luttes passées – il nous faudra commencer par écouter. Il nous faudra accepter la complexité, regarder la douleur en face, sans peur. C’est le seul chemin vers une véritable indépendance. Sinon, nous resterons prisonniers de nos divisions, encore longtemps.

Malick Dieng, Sociologue sénégalais, Canada

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