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Contribution du journaliste Allen Yéro Embalo sur la paix en Casamance

Contribution du journaliste Allen Yéro Embalo sur la paix en Casamance

Depuis plus d’un quart de siècle, le Sénégal fait face, dans sa partie sud, à un conflit armé  qui a pour objet le démembrement de la Casamance par rapport au reste du pays. Le Mouvement des Forces Démocratiques de Casamance (MFDC) est la force qui cristallise les revendications d’indépendance de la région. Dans son premier discours à la nation, le nouveau Président du Sénégal Macky Sall s’est dit prêt à dialoguer avec toutes les factions du MFDC.
Répondant à l’appel du Président sénégalais, l’un des chefs du mouvement Salif Sadio, a proposé la Communauté Saint Egidio pour diriger une médiation dans cette crise aujourd’hui vielle de 30 ans
Deux mille onze est sans risque de se tromper, la plus périlleuse pour l’armée sénégalaise  dans « sa mission » en Casamance.
Entre février et avril, ses positions ont souvent été attaquées et les accrochages ont fait des dizaines de morts et de blessés. En plus de huit soldats de l’armée régulière encore entre les mains du chef rebelle Salif Sadio. Cette situation place le Sénégal sur une estrade inconfortable voire difficile à concevoir.
La crise de Casamance au sud du Sénégal, est l’un des plus vieux conflits au monde. Depuis son déclanchement en décembre 1982, des milliers de personnes civils et militaires y ont perdu la vie. Des centaines de milliers d’habitants ont abandonné leur village d’origine soit pour la Gambie, la Guinée-bissau deux pays voisins, soit pour d’autres localités de la région jugées plus sûres. En plus de la centaine de villages rayés de la carte.  Et la guerre est loin de se terminer, car des centaines de combattants, les Atikas, restent déterminer à poursuivre la lutte, cela malgré l’intention exprimée par la plupart des chefs de la rébellion d’aller à une table de négociation avec les autorités sénégalaise, sous l’égide de Saint Egidio. Mais Saint Egidio aura-t-elle les mains libres dans un dossier aussi complexe, objet de beaucoup de convoitise ?
L’implication de Saint Egidio est perçue par plusieurs sénégalais comme une « internationalisation » du conflit, une situation que les anciens présidents Abdou Diouf et Abdoulaye Wade n’avaient jamais accepté.
La division, facteur de faiblesse ou une stratégie militaire ?
J’ai sillonné différents campements rebelle du nord comme du sud de la Casamance, partager la vie des combattants en mangeant dans un même bol, le même plat de riz à la viande de brousse, partager le même verre de thé qu’eux. Nous avons discuté de tout et de rien. Tout cela pour mieux voir, apprendre et comprendre la nomenclature de cette rébellion atypique. LA première conclusion est : le MFDC est très divisé, aussi bien dans son aile civile que militaire. Mais les rébellions nous ont habitué à ces genres de scénarios surtout quand le mouvement tend à s’essouffler. Elles se fractionnent en plusieurs petits groupes semi-autonomes opérant selon les réalités du terrain, sans commandement. C’est ce scénario qui se vérifie en Casamance.
En tout cas l’environnement est totalement dégradé, que ce soit dans la plupart des fronts, au sud proche de la Guinée-bissau ou au nord proche de la Gambie ou ailleurs.  Partout, les combattants et leurs dirigeants politiques ne parlent pas le même langage.
Dans une telle situation la chance d’aboutir à une négociation sérieuse devient compliquée voire impossible, car se pose le problème d’interlocuteur unique et crédible.
A Cassolol, son Etat Major,  devant une trentaine de ses hommes César Atoute Badiate  exprime en jurant la main au cœur, sa volonté de négocier, mais à une condition : que la MFDC parlent d’une seule voix.
«  Personne comme moi, n’est mieux placé pour parler de paix, car cela fait trente ans que je suis dans cette forêt. J’ai tout perdu, mes parents et mes enfants. Je veux parler de la paix à une seule condition : tant que moi et mes frères ne se serons pas retrouvés. Je ne suis pas contre le choix de Saint Egidio pour nous aider à discuter avec le Sénégal. Mais, il faut organiser d’abord une assise entre les différentes factions du mouvement, rassembler tout le monde pour qu’ensemble nous puissions parler le même langage, choisir de manière consensuelle nos représentants et définir une plateforme. Sinon une rencontre à Rome par exemple ne servira à rien. Si le médiateur y tient, nous irons tout même pour changer d’air ».
A une centaine de kilomètres, plus à l’Est de la base de César, plus de 200 combattants dissidents de Cassolol  ont posé leur balluchon,  dans une base proche du pieux de frontière 146. Ces combattants conduits par de Ousmane Gnantang Diatta étaient ceux qui occupaient le poste de Cassana, tout près de Ziguinchor, il ya un an.
Aujourd’hui, ils tentent de faire cavalier seul. Leur chef Gnantang les a abandonnés, officiellement pour des raisons de santé. Il est remplacé par un comité de cinq combattants dirigé par Landing Kompass.
«  L’idée de confier la médiation à la communauté Saint Egidio n’est pas nouvelle. C’est notre leader Abbé Diamacoune qui l’avait proposée au Sénégal. Il n’avait jamais été écouté » déclare Pape Sadio, leur porte parole.
« Saint Egidio a fait ses preuves au Mozambique par exemple, au Libéria et ailleurs sur le continent. Ce sont des gens crédibles, nous pouvons leur faire confiance. Si le Sénégal accepte, il ne restera qu’à déterminer le lieu de la rencontre et la date éventuellement. Mais nous, ce qui nous préoccupe ce sont les retrouvailles avec nos anciens camarades » ajoute le jeune porte parole.
Le maquis n’a pas encore livré tous ses secrets. Récapitulons. Salif Sadio veut négocier sous l’égide de Saint Egide. César veut des retrouvailles inter-MFDC d’abord avant la médiation de Saint Egidio. Le groupe Gnantang souhaite la même chose, mais propose que Saint Egide ne soit pas seule dans le dossier. Il demande que l’imam de Bignona et le Cardinal Sarr soient associés. Mais à Dakat la déclaration de Salif Sadio a sonné comme une déclaration de guerre. Résultat, sur le terrain en Casamance, des renforts en hommes et en matériels de guerre ont été acheminés sur tous fronts.
« Celui qui veut pas paix doit préparer aussi la guerre » dit un vieil adage.
La grande difficulté pour résoudre cette crise, c’est qu’elle est d’abord perçue comme un enjeu politique. En plus du fait que chaque camp croit dur comme fer qu’il a raison d’avance.
Les indépendantistes croient à la légitimité de leurs revendications, mais surtout au caractère sacré de l’engagement pris pour l’indépendance.
Pour le gouvernement du Sénégal, il s’agit de la croyance au devoir républicain de préserver l’intégrité du territoire national. Deux positions difficilement conciliables
Plusieurs accords ont été signés depuis plus d’une décennie sans résultats probants sur le terrain. Le constat est que les deux partis se parlent sans jamais se comprendre à cause des motivations intimes qui ne se sont pas révélées.
Une situation de ni guerre, ni paix
Depuis bientôt trois mois, nous constatons qu’il y’a bien une accalmie qui n’est certainement pas due aux accords, mais plutôt aux querelles internes au mouvement irrédentiste, à la corruption en son sein, à la dissuasion militaire et surtout à l’usure des groupes armés du Mouvement des Forces Démocratiques de Casamance(MFDC). Les combattants indépendantistes semblent fatigués. Beaucoup d’entre eux ont vieilli à force de vivre dans des conditions difficiles et le mouvement a du mal à renouveler son effectif. Les recrutements sont devenus rares dans les villages, car personne ne croit plus à une indépendance.
La plupart des combattants et leurs dépendants n’ont aucune perspective d’avenir parce qu’ils ont compris que non seulement ils ne gagneront pas la guerre, mais surtout que leur objectif final (l’indépendance) ne sera jamais atteint, même si leur capacité de frappe n’est pas totalement anéantie.
La crise est en train de s’essouffler donc. Apparemment le ressort de guerre est cassé depuis longtemps et la lutte intense cède progressivement sa place à des actes isolés de personnes ou groupes de personnes qui ne veulent pas perdre la face ou qui pensent que leur réinsertion sera difficile, sinon impossible.
«  Je me suis engagé dans la maquis pour l’indépendance. Cela fait 30 ans que je suis ici. Que peut m’offrir le Sénégal pour que j’abandonne la lutte armée ? » s’est interrogé Emile 62 ans, un vétéran, encore dans le maquis.
Ainsi, même si le combat devait cesser faute de combattants, cela ne signifiera pas que le conflit est terminé.
Les croyances et les valeurs qui l’ont fondé n’en disparaîtront pas pour autant. Pire, les rancœurs engendrées survivront pendant longtemps encore au sein des populations, surtout celles qui ont été victimes d’actes de violence.
Allen Yéro Embalo

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