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Interview de René C. Bassène: La paix comme préalable au développement ou le développement comme préalable à la paix ?

Interview de René C. Bassène: La paix comme préalable au développement ou le développement  comme  préalable à la paix ?

La paix comme préalable au développement  pour certains et  le  développement comme préalable à  la paix pour d’autres. Voici deux points de vue contraires autour des quels sont alignés les différents acteurs de paix et les différents  intervenants  dans la reconstruction de la Casamance.

 René Capain Bassene  nous livre son point de vu sur ces deux  concepts :

René Capain Basséne, en votre qualité d’observateur de la crise Casamance, quelle analyse faites vous des concepts  de : « la paix comme préalable au développement ou du développement comme préalable a la paix en Casamance » ?

Vous m’avez posé une question assez difficile à répondre, mais je vais essayer de donner mon humble avis que je tiens à préciser comme toujours n’engage que ma modeste personne.

Pour revenir à votre question, je tiens à préciser au risque de vous décevoir et de décevoir mes lecteurs que je suis trop petit  pour m’aventurer à faire une analyse de ces deux concepts, néanmoins,  je  vais tenter sur la base d’une simple observation du comportement des acteurs sur le terrain, de m’appuyer sur des faits et exemples précis pour étayer mes propos.  C’est tout ce que je saurai faire si cette démarche vous convient bien sur.

Allez – Y  Monsieur  Bassène

Bien, pour ma part,  ce que vous qualifiez de concepts ; à savoir « paix pour le développement ou développement pour la paix » sont plutôt des slogans que des concepts.  Sur le terrain, il y a des acteurs qui soutiennent qu’ il faudra au préalable le retour de la paix avant d’entreprendre un développement en  Casamance et d’autres acteurs qui prônent  le contraire et qui disent qu’il faut malgré la situation de ni guerre ni paix entreprendre des actions de développement afin d’atténuer  les frustrations des populations et de les amener à  adhérer  dans la dynamique du processus de paix. Il y a même un troisième  groupe que vous n’avez pas mentionné et  qui  lui semble plus ambitieux car il combine les deux concepts cités ci-dessus  en prônant pour  « des actions de développement  pour accompagner  le processus de paix » c’est-à-dire qu’il faut qu’en même temps que les acteurs de recherche de paix sont entrain de se mouvoir que parallèlement les acteurs du développement entre dans la dance.

Mais pour l’essentiel, ce sont juste des prétextes pour les uns et les autres d’obtenir des financements de la part de leurs bailleurs pour pouvoir intervenir en Casamance et surtout  pouvoir y gagner leur vie.

Pouvez-vous expliquer pourquoi vous qualifiez ces concepts de slogans et de prétextes :

Le slogan selon ma compréhension qui bien sûr peut être erronée, est une  sorte de cri de guerre, il résume une vision et ses caractéristiques sont qu’il est spécifique, court et facile à prononcer et retenir  comme c’est le cas pour : «  la paix pour le développement » ou bien « le développement pour la paix ». Seulement entre le slogan et la réalité vous conviendrez avec moi qu’il peut exister un grand fossé et c’est malheureusement le cas pour ce qui est des activités dites de développement ou celle qualifiées de recherche de la paix en Casamance.

Et  je vais essayer  d’expliquer  pourquoi  je fais une telle allégation ?

Parlons d’abord du concept puisque c’est ainsi que vous le nommez de «  la paix pour le développement ». Ce slogan est en réalité de la vison de ceux dont les bailleurs sont disposés à financer des actions  de sensibilisation, mobilisation sociale et plaidoyer en faveur d’un retour  d’une paix définitive pour les uns, d’une paix durable pour les autres et d’une paix définitive et à la fois durable pour certains. Ils se livrent à un jeu de mots ou a une querelle d’école car parmi eux on rencontre des acteurs qui disent que c’est prétentieux de parler de paix définitive parce que celle-ci ne relève que du Bon Dieu et c’est  pourquoi ils préconisent le terme de paix durable.  N’empêche, d’aucuns  persistent à utiliser ce terme  de retour d’une paix définitive, d’autres de construction d’une paix durable. Bref, je ne suis pas spécialiste en la matière, mais comme je l’ai précisé plus haut, je me base sur des faits pour me prononcer.

Ceci dit, ils sont nombreux  en Casamance  les acteurs que je peux mettre dans ce lot. Dans  ce groupe on note des ONG, associations et la société civile.  Ce sont  des individus isolés ou groupes dont les démarches et activités ne sont jamais coordonnées et qui font plus de l’événementiel que de mener des activités de sensibilisation soutenus et quasi permanents.  Leur stratégie consiste en la formation en un temps record (en deux ou trois jours) d’un petit groupe sur les techniques de sensibilisation au pardon, à la réconciliation et  à la médiation suivi de la création « de comités de paix » pour dérouler les activités  au niveau de leur zone d’intervention. Mais on remarque que le plus souvent l’objectif visé par ce groupe d’acteurs et le résultat sur le terrain il existe un gros fossé. En effet les activités de sensibilisation coûtent chères et les initiateurs de ces comités sont souvent confrontés à un problème financier pour dérouler leurs activités. Résultat ; on rencontre des « comités »  qui ne sont pas du tout dynamiques ou qui ne mènent qu’une seule activité annuelle ce qui est insignifiant car la sensibilisation à la paix est un processus et non des activités ponctuelles.

Les points faibles de cette pratique sont  que :

–           les activités de sensibilisation au pardon et à la réconciliation ne sont orientées qu’en vers les populations cibles et le travail de sensibilisation se fait sous forme de fora dont une des conditions sine qua non de réussite est invariablement la prise en charge des frais de déplacement ou per diem, de la nourriture et de la logistique  des participants sans compter les frais à payer au consultant formateur.

–          les foras regroupent des individus à niveau scolaire des fois assez bas et ne concernent qu’un infime échantillon de la population, ce qui laisse le sentiment aux autres qui n’ont pas été retenus de n’être pas concernés par ce qui est entrain d’être fait.

–          après la formation, les moyens ne suivent pas pour renforcer les capacités des relais et pour leur permettre de mener leur activités de façon régulière

–          le MFDC et le gouvernement ne sont pas concernés par cette sensibilisation qui est essentiellement dirigée vers les populations à qui on sensibilise uniquement sur la paix et la réconciliation.

–          les populations vivent ces moments de sensibilisation comme un événement festif car le bailleur vient avec son argent, donne à manger et à boire et remet des per diem à la fin de chaque séance. c’est cet aspect qui intéresse le plus les participants.

–          certains acteurs utilisent le canal de la radio pour sensibiliser mais surtout pour rendre visible leur activité et gagner en notoriété. mais l’inconvénient est que les émissions n’ont pas un grand audimat parce qu’elles sont programmées à des heures où les populations ciblées sont dans d’autres préoccupations.

–          le manque de synergie et d’harmonie dans les activités des acteurs est  caractérisé par l’existence dans une même collectivité de plusieurs comités de paix avec pratiquement les mêmes personnes utilisées comme relais.

Ce qui fait que je dis encore une fois, qu’entre les objectifs visés et les résultats obtenus sur le terrain, il y a un grand fossé. En réalité les ambitions des acteurs sont de façon générale plombées par un manque de moyens financier et logistique. Et pour conclure sur ce Concept, je dirai tout simplement que les actions ponctuelles de sensibilisation et de plaidoyer  comme préalable à la paix n’ont pas un grand impact sur le terrain malgré les nombreux acteurs et malgré qu’elles sont pratiquées depuis plus d’une dizaine d’années.

Et juste à coté de ce groupe, il y a les interventions des messieurs Casamance dont la spécialité est de démarcher et d’acheter la paix en lieu et place de chercher comment arriver à des négociations sincères pour le retour de la paix. Leurs divergences dans la démarche et les messages adressés aux belligérants  contribuent à retarder le retour de la paix.

Tout comme les ONG et autres acteurs spécialisés dans la sensibilisation, leurs efforts sont limités et on ne ressent pas un impact de leurs interventions sur le vécu des populations. Cela me fait dire qu’il est encore prématuré  d’espérer en ce concept de « paix comme préalable au développement de la Casamance ». La sensibilisation à la paix connaît des limites réelles.

Si on vous comprend bien vous êtes partisan du deuxième concept qui stipule qu’il faut entreprendre des activités de développement pour booster le processus de paix. Est-ce bien cela ?

Je ne l’ai pas dit. J’étais entrain de donner mon avis sur le premier concept, maintenant passons au second qui  voudrait que l’accent soit mis sur le développement dans l’espoir de calmer les frustrations des populations et de les amener à s’inscrire dans une dynamique d’ouverture au dialogue et à la paix.

Pour rappel, c’est essentiellement à partir de 2003 – 2004  qu’il y a eu un grand engouement des acteurs dans les actions de développement de la Casamance. Mais par rapport à ce point précis, je voudrais vous  poser deux questions, à vous et aux lecteurs si vous me le permettez.

–          Est-ce que le développement de la Casamance se résume annuellement pour chaque acteur  en la construction de quelques salles de classes, de quelques  pistes de production, de quelques dispensaires et maternités, de foyers socio culturels, de l’appui a la reconstruction de quelques maisons ou de l’appui en tôles souvent en quantité insuffisante pour la couverture de maisons, de la distribution de quelques kilogrammes de riz aux populations, de l’aménagement de jardins maraichers, du fonçage de puits, du financement sous forme de prêts aux activités des femmes avec des taux de remboursements assez élevés et qui sont prélevés sur des échéanciers assez rapprochés ?

–          Ou est que le développement de la Casamance comme préalable au retour de la paix devrait porter sur de gros projets structurants tels que : la construction d’un grand aéoroport, d’un port en eau profonde, la redynamisation des unités de transformation et la création de petites et moyennes entreprises susceptibles de créer de l’emploi, la construction d’un route digne du nom pour désenclaver la Casamance et le renforcement du trafic fluvial par l’achat d’un grand navire pour transporter les nombreux voyageurs, la nécessité de renforcer le transport aérien par des vols réguliers et avec surtout des avions en bon état, la redynamisation de l’agriculture à travers une bonne mécanisation, l’appui aux initiatives privées des populations  etc.  Je voudrais que vous m’aidiez à  trouver la bonne réponse à ces questions.

Sur le terrain on note plusieurs acteurs qui font tous la même chose c’est-à-dire les activités citées dans la première question et qui évoluent sans aucune harmonie  ni synergie dans leurs planifications. Conséquence il n’est pas rare d’assister à des doublons de leurs interventions dans une même localité. Souvent des acteurs se querellent parce que dans une même localité, et au même endroit ils ont le même programme et la même activité.

Est-ce bien cela le « développement de la Casamance comme préalable au retour de la paix » ?

Pour ma part, je considère les activités de ces acteurs comme une aide à la reconstruction des infrastructures abandonnées ou détruites par le conflit et une facilitation au retour et à la réinsertion des populations. Les dispensaires, écoles, jardins maraicher etc…  ne sont pas souvent de nouvelles créations ; c’est juste qu’ils ont aidé les populations à bénéficier de nouveaux bâtiments et de pouvoir revivre dans leurs localités. Mais cela n’apporte en rien sur le soulagement de leur misère. Il y a même des parents qui peinent à cause de l’extrême pauvreté à  débloquer cinq mille francs Cfa pour inscrire leurs enfants dans ces écoles. Et quelques fois, les infrastructures ne sont pas de bonne qualité et se détériorent assez rapidement au grand désarroi des bénéficiaires.

A cela s’ajoute le phénomène des zones dites rouges, c’est-à-dire des zones où le bailleur les interdit d’intervenir pour raison d’insécurité. J’ignore encore sur quelle base les bailleurs situés hors du Sénégal se fondent pour disqualifier certaines localités dont pour la plupart des cas les populations sont dans le besoin. Zones rouges, comme si en Casamance il existe des zones où il est écrit que jamais ils ne seront le théâtre d’une embuscade ou d’une quelconque attaque. Je ne sais pourquoi Ziguinchor dont l’aéroport  a été une fois victime d’un tir à l’arme lourde de la part des combattants et où les quartiers de Kandialang en 1997 et Diabir en 2009 ont été le théâtre de rudes affrontements n’est pas marqué comme zone rouge…pourtant c’est dans Ziguinchor que sont installés tous les bureaux ou sièges des intervenants. D’où provient ce phénomène de zone rouge ? En tout cas, je considère cela comme une discrimination qui ne dit pas son nom et qui consiste consciemment ou inconsciemment à favoriser certaines localités au détriment d’autres, à  priver de l’aide à des localités où vivent des sénégalais comme tous les autres. Mais quand il s’agit de la campagne électorale, toutes les zones sont au vert ou au blanc, elles deviennent fréquentables et on y tient toutes les promesses…

C’est aussi cela le développement comme préalable au retour de la paix ? Allez savoir.

Je conclus en disant que sur le terrain, les populations ne sentent pas le développement annoncé ou préconisé. C’est d’une aide ponctuelle, désorganisée et incomplète ou insuffisante qu’ils bénéficient…

Vous êtes sur de ce vous dites ?

Bien sûr que oui. Je ne dirai jamais des choses pour le simple plaisir, je me respecte et respect tous ceux qui me lisent.

– une aide désorganisée : je l’ai dit plus haut, c’est le phénomène du manque d’harmonie et de synergie dans les interventions et qui se manifeste par l’existence des doublons et le phénomène des zones rouges.

– une aide incomplète ou insuffisante: c’est rare qu’un intervenant construise une école entière de six classes ; ils construisent, ou réhabilitent  juste une, deux ou trois salles de classes et refont la même chose dans une autre localité. Ce qui les intéressent et que dans leurs rapports d’activité adressés à leurs bailleurs, ils puissent citer plusieurs localités dans les différentes régions ou département. C’est un mur par ci, un puits par là et c’est aux populations de retourner vers un autre partenaire ou d’attendre l’année suivante pour que le même partenaire revienne faire une autre petite intervention. Le plus souvent les infrastructures construites ne sont pas équipées et il appartient aux pauvres populations de se démener pour les équiper. C’est le cas de certains dispensaires, écoles, etc. allez vérifier mes propos sur le terrain en Casamance.

René Capain Bassène vous semblez fustiger les concepts de « paix comme préalable au développement ou de développement comme préalable a la paix », alors que proposeriez vous comme alternative ?

Encore une fois, je n’ai rien de spécial à proposer, mais je demeure convaincu que la paix ne sa décrète pas, elle ne s’achète pas non plus et elle ne peut pas s’obtenir par un procédé quelconque si ce n’est par la négociation. Seule un processus de négociation saura mettre un terme à la crise en Casamance. Et c’est pourquoi je vais conclure en demandant aux belligérants et particulièrement à l’Etat de prendre chacun de son coté les mesures nécessaires pouvant créer les conditions  favorables au dialogue et la négociation afin de mettre un terme à ce vieux conflit que sont entrain de subir quotidiennement les pauvres populations casamançaises.

ARDiallo

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