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Casamance: René Capain Bassène se prononce sur le conflit et le processus de paix

Casamance: René Capain Bassène se prononce sur le conflit et le processus de paix

E tat des lieux de l’évolution du conflit et de l’avancée du processus de paix; René Capain s’exprime en exclusivité dans nos colonnes:

  • Rien n’a absolument évolué concernant le processus de recherche de la paix.
  • Aucune négociation sérieuse et sincère n’est en cours.
  • Sant’Egidio est bloqué et les autres médiateurs dont le GRPC et HD ont perdu le contact avec les combattants depuis 2014.
  • S’il y a quelqu’un de très mal informé sur l’évolution du processus de paix en Casamance, c’est bien le président Macky Sall.

Monsieur René Capain Bassène pouvez-vous en votre qualité de journaliste et fin observateur de la crise en Casamance nous faire l’état d’évolution du processus de paix en cette fin du premier semestre de l’année 2017 ?

Il n’y a rien de nouveau, il n’y a absolument rien de spécial à signaler concernant le processus de négociation entre l’Etat du Sénégal et le MFDC. C’est toujours le statu quo. Nous vivons encore et encore une situation de ni paix et de ni guerre que beaucoup d’acteurs ont baptisé « situation d’accalmie ».

Comment de votre côté qualifiez-vous cette situation qui prévaut en Casamance ?

Pour ma part, je préfère utiliser le vocable « paix armée » pour désigner la très précaire sorte de trêve qui règne en Casamance.

C’est quoi alors une paix armée ?

C’est une situation caractérisée par une baisse sensible de la fréquence des affrontements entre belligérants et par une diminution notoire des actes de violences physiques, psychologiques et morales ainsi que des violations des droits de l’homme exercées sur les pauvres populations civiles.

 En plus clair, il n’y a de nos jours en Casamance plus de villages bombardés ou incendiés à la suite d’un affrontement ou d’une simple et anonyme dénonciation, quasiment plus de personnes disparues à la suite des arrestations arbitraires. On enregistre aussi la presque disparition des emprisonnements sans jugements préalables, des tortures  et des exécutions sommaires, de la pratique de dénonciation, des braquages, des assassinats mais surtout des fouilles exercées dans les maisons et une forte baisse des contrôles parfois très humiliants sur les voyageurs  etc.

Paradoxalement, cette même période dite d’ « accalmie » est marquée par une forte présence sur le terrain de militaires sénégalais et de combattants du MFDC très bien organisés, très bien concentrés, très fortement et très lourdement armés, se surveillant de très près, chacune des parties étant à l’affût, optant pour une position défensive mais prompte à passer à l’offensive, c’est à dire à ouvrir le feu sur l’ennemie au moindre incident.

C’est ce qui explique que même si l’intensité et la fréquence des combats ont beaucoup diminué, cette accalmie tant vantée a des limites. Il ne se passe en réalité aucun trimestre sans qu’un événement de nature à compromettre la dynamique de paix  ne soit signalé soit du côté du front nord ou de celui du sud.

Vous êtes sûrs de ce que vous êtes en train de dire ?

J’ai toujours reposé mes arguments sur des faits et je peux pour ce qui concerne la période 2012- à nos jours vous apportez la preuve de ce que je suis en train de dire.

Allez-y puisque c’est très important pour éclairer et informer l’opinion.

Bien, je vais essayer de suivre l’ordre chronologique des événements :

 Le  06 Juillet 2012 : Bataille d’Emaye ; corps sans vie d’un présumé combattant exposé au niveau du poste de commandement militaire d’Oussouye.

Le 08 août 2012 : second affrontement de kabeum entre militaires et une patrouille de combattants du MFDC.

Le 12 octobre 2012 : attaque du crédit mutuel de Diouloulou par des individus armés supposés appartenir au MFDC.

Le 02 février 2013 : attaque du crédit mutuel de Kafountine par des individus armés supposés appartenir au MFDC.

Le 03 mai 2013 : 12 démineurs parmi lesquels trois femmes appartenant à l’opérateur sud-africain Mechem ont été pris en otage par les combattants de la faction de Cesar Atoute Badiatte.

Le 02 juillet 2013 : Robert Antoine Sambou arrêté à la pointe saint Georges décède des suites de tortures subies de la part des militaires.

Le 28 janvier 2014 : César Atoute Badiatte exprime sa farouche opposition à l’exploitation du Zircon en Casamance.

Le 05 mars 2014 : César Atoute annonce à travers un communiqué qu’il est opposé à tout projet de construction de pistes de production le long de la RN6 ainsi qu’à toute idée de poursuivre le déminage humanitaire tant qu’il n’y a de négociations.

Mars 2014 : mort d’Abdou Bodian, un jeune militant de l’aile civile faction Abdou Elinkine Diatta décède à Bignona à la suite de tortures qui lui ont été infligées par des gendarmes.

Le 08 et 09 mai 2014 : le cessez le feu unilatéral décrété par Salif Sadio est remis en cause à la suite d’un violent affrontement à Sindian entre ses combattants et des éléments de l’armée sénégalaise.

Le 16 aout 2014 : 07 jeunes garçons ont péri dans le Oulampane après que leur charrette qui leur servait de moyen de transport ait sauté sur une mine antichar.

Le 10 mars 2015 : énième affrontement au niveau du village de Djondji entre des éléments de l’armée sénégalaise basés à Sindian et les combattants du MFDC commandés par Paul Ouloukassine Basséne.

Le 8 avril 2015 : affrontements à l’arme lourde entre combattants du MFDC et militaires sénégalais au niveau du parc de la basse Casamance.

Le 11 avril 2015 : violent affrontement entre combattants du MFDC et militaires sénégalaise au niveau du cantonnement militaire d’Emaye.

Le 06 juin 2015 : Salif Sadio annonce à travers un communiqué radiodiffusé sa farouche opposition à l’exploitation du Zircon en Casamance.

Le 09 juillet 2015 : plusieurs jeunes coupeurs de bois ont été pris en otage dans la forêt classée de Sassamba par des individus armés supposés appartenir au MFDC.

Le 28 juillet 2015 : la dépouille d’un habitant du village d’Emaye parti à la chasse a été découverte dans un état très avancé de décomposition aux environs du parc de la basse Casamance après qu’il ait sauté sur une mine quelques jours au paravent.

Mars 2016 : affrontement dans le Fogny entre combattants du MFDC et soldats sénégalais partis selon la Dirpa détruire des champs des récoltes de chanvre indien.

Le 10 juin 2016 : plus d’une dizaine de personnes qui revenaient du marché hebdomadaire de Ngoré en Guinée Bissau ont été kidnappées et dépouillées de tous leurs biens par des individus lourdement armés supposés appartenir au MFDC.

16 juin 2016 : le caporal chef Yves Kanfany retrouvé a Guidel.

Décembre 2016 : affrontement entre combattants du MFDC et militaires sénégalais de la force de la CEDEAO en partance pour la Gambie…

14 mars 2017 : braquage effectué sur l’axe Cap skiring- Ziguinchor par des individus lourdement armés supposés appartenir au MFDC.

Fin Avril 2017 : braquage à Niagha.

15 mai 2017 : affrontement entre militaires et combattants de la faction de la faction de Compass au niveau du village de Bantancountou.

16 mai 2017 : affrontement au niveau du village d’Akintou entre les hommes de Compass et militaires sénégalais.

23 mai 2017: affrontement à Diaboudior tangal entre soldats sénégalais et les hommes de Salif Sadio.

Et enfin le 14 juin 2017 : un véhicule qui transportait des militaires en patrouille a sauté sur une mine antichar au niveau de Akintou.

Je précise encore une fois que tous ces derniers événements se sont produits durant la période 2012-2017 pourtant considérée par de nombreux acteurs comme étant la période où l’accalmie a atteint son point culminant.

C’est pour dire qu’en Casamance contrairement à ce qu’on essaye de faire croire à l’opinion, la guerre est encore loin d’être finie et cela est matérialisé par un certain nombre d’indicateurs tels que :

  1. le refus catégorique du MFDC de la poursuite du déminage humanitaire en Casamance.
  2. l’opposition par le MFDC de la construction de piste de production et de désenclavement au niveau de certaines localités parmi les plus affectées par le conflit.
  3. Le refus catégorique du MFDC de voir certaines populations réfugiées et/ou déplacées retourner dans leurs villages respectifs. Les cas de Bissine, Badem, Bagam etc.
  4. Le fait qu’il existe encore en Casamance des zones inaccessibles aux populations civiles sur interdiction de l’armée ou des combattants. Le Cas du Parc de la basse Casamance etc.
  5. L’opposition ferme du MFDC à l’exploitation du zircon en Casamance.
  6. Les ennuyeux contrôles sur les voyageurs au niveau des axes Bignona- Dakar, Bignona –Selety qui compte plus de huit (huit) check point, Ziguinchor –Oussouye, Ziguinchor – Goudomp etc.
  7. Le fait que les voyageurs en provenance de Dakar ayant la malchance d’arriver au-delà de 18h30 mn au niveau de Madina Wandifa localité plus connue sous la dénomination « Carrefour Diaroumé » soient contraints par l’armée d’y passer toute la nuit dans des conditions très difficiles. C’est pareille pour certaines populations des localités du Balantacounda qui à partir de 18h30mn ne peuvent pas rallier Ziguinchor.
  8. La situation assez tendue au niveau de la frontière avec la Gambie depuis la défaite puis le départ en exil du président Yahya Jammeh. C’est uniquement par la négociation et par le dialogue sincère que nous pourrons arriver à un retour à la paix en Casamance.

Selon vous comment pourra-t-on parvenir à régler cette situation et à lever tous ces blocus ? Certes on n’est pas encore à la fin du conflit armé, mais des négociations sont en train d’être menées par certains groupes d’acteurs en faveur du retour de la paix comment appréciez-vous leur travail ?

Le travail de qui s’il vous plait ?

Des acteurs de paix

Lesquels par exemple ? Pouvez-vous m’en citer quelques-uns que vous connaissez et dont vous êtes sûrs qu’ils sont en contact avec les combattants du MFDC avec qui ils seraient en train de négocier ?

Il y a le GRPC avec Robert Sagna qui a déclaré être en train de négocier avec le MFDC qui lui renouvelé sa confiance et qui l’a désigné comme facilitateur pour les aider dans leur processus de réunification et pour les accompagner jusqu’à ce qu’ils parviennent à se choisir un chef d’état-major et un secrétaire général, l’ONG HD qui est sur le terrain et qui négocie avec Compass et Diakayes, la communauté Sant’Egidio qui travaille avec Salif Sadio et enfin les femmes de la plateforme pour la paix en Casamance qui sont en contact avec les combattants et qui ont joué un rôle déterminent dans l’instauration de l’accalmie qui prévaut en Casamance.

Vous pouvez avoir raison, mais pour ce qui me concerne, je sais une chose :

A propos de  Robert Sagna et du GRPC, la faction de CésarAtoute a déclaré avoir rompu le contact avec lui depuis octobre 2014 et c’est vérifié.

Avec Salif Sadio le GRPC a perdu le contact vers fin 2012.

Avec Compass, hormis une seule tentative de rencontre infructueuse, jamais il n’a été établi un contact sérieux avec le GRPC.

C’est seulement avec Diakayes qu’il y a eu des rencontres les mois passés et c’est sans doute cette faction qui a dû l’avoir choisi comme son facilitateur. Il ne faut donc pas généraliser en raisonnant comme si effectivement il a été désigné par l’ensemble des factions combattantes du MFDC. Cela pourrait engendrer la confusion auprès de l’opinion.

Pour ce qui est de la plateforme des femmes, je demeure catégorique, elles n’ont depuis la création de cette plateforme, jamais eu l’opportunité d’entrer en contact aussi bien direct qu’indirect avec les combattants toutes factions confondues. Je ne sais pas d’où est ce que vous avez puisé votre information. Mais faites beaucoup attention à certaines déclarations car elles ne collent souvent pas à la réalité sur le terrain.

Pour ce qui est de HD : cette organisation communique très peu et n’a jamais officiellement déclaré être entrain de négocier avec les combattants. Entre 2013 et 2014, HD organisait des séminaires de formation en techniques de négociations pour certains combattants des factions de Diakayes et d’Aquintcha. Ils n’ont plus accès aux combattants depuis début 2014 même si depuis quelques temps HD est en train de financer des activités et des séminaires sur la demande de certains acteurs de la société civile qui s’activent dans le cadre de la recherche de la paix. A ce que je sache, ils n’ont jamais joué le rôle de médiateur. Ils ne peuvent d’ailleurs pas le faire puisque l’accès au maquis leur est verrouillé.

Enfin pour Sant’Egidio ; cette communauté ne travaille exclusivement qu’avec Salif Sadio. J’avoue qu’à l’instar de bon nombre d’observateurs, j’ignore ce qu’ils sont entrain de négocier sur le dos des Casamançais. Comme tout le monde, j’ai hâte de connaitre le fruit de leur démarche. Je suis très déçu de constater que depuis 2012 qu’ils sont en train de négocier, il n’a toujours pas été noté une avancée concrète.

Mon analyse des toutes dernières déclarations de Salif Sadio et du responsable de cette communauté, est que leur processus de paix est plombé. La réalité est qu’ils sont totalement bloqués. Si un acteur vous dit qu’il est en train de négocier ou qu’il est en contact avec des combattants ; n’hésitez pas de lui dire très poliment que ce n’est pas vrai.

Vous –voulez donc dire que rien n’est en train d’être négocié ?

Rire : bonne conclusion. En vérité,absolument rien n’est en train d’être négocié aussi bien en privé qu’en public, en douceur ou sous une quelconque autre forme ou formule de négociation en faveur d’un retour à la paix en Casamance. Toutes les initiatives et différentes stratégies des acteurs paix sont dans l’impasse totale.

Hormis Sant’Egidio qui est contact avec Salif Sadio mais qui n’a plus de répondant auprès des hautes autorités sénégalaises et gambiennes, le reste des acteurs de paix se sont tous vus hermétiquement refermées les portes du maquis casamançais depuis bientôt trois ans. Ils n’ont plus d’interlocuteurs auprès du MFDC. J’espère qu’ils auront le courage et la franchise de confirmer mes propos.

Pourtant le président Macky Sall, semble se glorifier de cette accalmie et n’hésite pas à chaque fois que l’occasion se présente à adresser ses vives félicitations aux acteurs de paix pour le travail abattu qu’en dites –vous ?

A mon avis, s’il y a quelqu’un de trop mal informé à propos des tentatives de recherches de la paix en Casamance, c’est bien le président de la république. Les acteurs de paix ne lui donnent pas la bonne information. Ils lui font croire que tout est entrain de bien se passer et que nous sommes à quelques pas d’obtenir cette paix tant désirée.

Pourquoi le dites-vous ?

Le président Macky Sall était animé d’une noble intention quand au tout début de son mandat il avait déclaré faire de la paix et du développement en Casamance une sur-priorité.

Mais pour atteindre son objectif, il s’est malheureusement appuyé sur de mauvais conseillers, des individus et groupes d’individus ayant chacun son bailleur de fond qui en lieu et place d’engager de véritables pourparlers avec le MFDC ont vidé toute leur énergie dans une féroce bataille de positionnement pour juste être crédible aux yeux du MFDC mais également pour paraître les meilleurs aux yeux des autorités et des bailleurs.

Ces derniers ont habillement présenté la situation d’accalmie qui prévaut en Casamance comme étant leur propre acquis, le résultat direct de leur démarche. Se basant sur leurs déclarations, c’est donc logique que le président de la république les congratule.

Nos autorités ont la conviction sur la base des renseignements qu’ils reçoivent que le conflit est terminé et qu’il faut procéder à un développement rapide de la Casamance pour définitivement clore cette histoire du conflit.

Mais je rappelle que c’est une grave erreur d’appréciation. La guerre en Casamance ne finira qu’à la suite d’un processus de négociation. Le conflit casamançais est né d’une revendication purement politique. Il faut à cet effet privilégier le dialogue.

Croyez- vous qu’avec le président Macky Sall on peut parvenir à un accord de paix définitif ?

C’est possible. S’il y va sur de nouvelles bases, il peut y arriver très rapidement car le MFDC dans toutes ses composantes est disposé à dialoguer avec lui. Il suffit juste de prendre les choses par le bon bout.

Vous venez encore une fois de démontrer que vous maitriser votre sujet, que vous êtes un des meilleurs analystes du conflit casamançais…

Attention, ne me situez surtout pas à un niveau qui est encore trop loin d’être le mien. Je ne suis pas spécialiste du conflit. C’est juste que j’observe de très près tout ce qui se trame, se dit ou se déroule par les différents acteurs.

Fin de la 1ère partie de l’interview.

ARDiallo

 

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Commentaires (4)

  • Koumpo Boudodi

    L’article ne fait qu’accabler les entreprises de la paix, ce qui est parfaitement normal, et je vous soutiens. Ces escrocs ont fait fortune sur le dos des Casaçais et cela n’est expliqué dans l’article. C’est dommage.

  • Teesito

    La Casamance est notre référence suprême. Il ne faut pas s’inquiéter pour autant de mal commis par les criminels. Nos ancêtres l’ont démontré avec efficacité. Celui qui sème le vent récolte la tempête. Moussa Molo, Fodé kaba et Djignaboe l’ont démontré aux colons.

  • Balla Moussa

    J’apprécie le décryptage et le rappel des événements en Casamance. Les acteurs de la paix n’ont aucune connaissance du dossier. Ils s’appuient sur des considérations de groupes d’influence pour remplir leurs poches. RCB les a tous démasqués et leur poule aux oeufs d’or entendez la Casamance ne pond plus pour eux. De toutes les façons LA CASAMANCE POURSUIT SON PETIT BOUT DE CHEMIN.

  • Fouladou2

    Excellent travail de mémoire de la part de l’expert Capain. J’ai cependant des points de notre histoire qui ne sont pas pris en compte:
    23 mai 2015: l’armée sénégalaise brûle les maisons de villageois à Effock
    http://www.journaldupays.com/?s=effock
    janvier 2014: l’armée sénégalaise tire sur des étudiants en grève à Oulampane et tue 2 étudiants
    http://www.journaldupays.com/2014/casamance-encore-une-fois-larmee-senegalaise-tire-a-bout-pourtant-sur-les-eleves-grevistes-doulampane/
    Votre liste est donc à compléter. Ne cachons rien aux Casamançais et au monde.

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